/ Susceptibilité génétique
Par Dr David Wallon
Parmi les facteurs génétiques modifiant la susceptibilité de développer la maladie d’Alzheimer, on distingue plusieurs cas de figure. En effet le patrimoine génétique d’un individu peut comporter des variations qui dans de rares cas pourront être directement la cause de la maladie : les mutations causales, ou dans d’autres cas pourront augmenter le risque de la développer sans être suffisant pour la causer : les facteurs de risque génétiques.
Ces distinctions sont importantes à comprendre car les conséquences en matière de recherche et de prise en charge des patients ne sont pas les mêmes. Toutefois, les chercheurs s’accordent pour considérer que la MA est une maladie multifactorielle complexe, résultant de l’interaction de nombreux facteurs, principalement génétiques. En effet, la part de risque attribuable aux facteurs génétiques dans ces formes est importante et a été estimée entre 60 et 80% (inversement, la part de l’environnement serait tout de même comprise entre 20 et 40%).
/ Les mutations causales
Le fait que les peptides amyloïdes soient les principaux composants des dépôts amyloïdes a conduit à chercher à comprendre leurs mécanismes de production. A ce jour, la voie de production conduisant à leur formation est relativement bien décrite, plaçant la protéine APP (« amyloid precusor protein ») et son métabolisme au centre du processus pathologique. La preuve de ce mécanisme causal a été possible grâce aux études des formes autosomiques dominantes à début précoce. Dans ces formes, il existe une transmission de la maladie d’une génération à la suivante. Cette mutation est considérée alors comme la cause de la maladie d’Alzheimer. Chaque descendant d’une personne malade porteuse de la mutation, présente un risque sur deux d’être également porteur et donc malade à son tour avant 65 ans.
En d’autres termes, être porteur de la mutation présente dans la famille implique de développer les signes cliniques de la MA, à un âge généralement proche de celui auquel sont apparus les signes chez le parent. Cependant ces formes sont rares (moins de 0.1% des cas) et débutent systématiquement avant 65 ans voire même avant 50 ans pour la majorité d’entre elles
Pour plus d’information consulter le site internet : www.alzheimer-genetique.fr
Ces formes sont la conséquence de variations génétiques (appelées dans ce cas mutations) sur les gènes du précurseur du peptide amyloïde (APP), de la préséniline 1 (PSEN1) et de la préséniline 2 (PSEN2). Or, toutes ces mutations ont pour conséquence de déséquilibrer le métabolisme de l’APP entrainant alors la maladie. Le lien de causalité entre mutations et le développement de la maladie a permis l’émergence d’une hypothèse physiopathologique dans la maladie d’Alzheimer : l’hypothèse de la cascade amyloïde. La plupart des approches thérapeutiques actuelles sont développées à partir de cette hypothèse, soit en cherchant à empêcher la production des peptides amyloïdes, soit en favorisant leurs dégradations. Ces stratégies thérapeutiques concernent désormais les phases les plus précoces de la maladie et même avant l’apparition des premiers symptômes. Plusieurs études sont menées actuellement pour tenter de prévenir l’apparition de la maladie chez les personnes porteuses de mutation mais n’ayant pas encore développé les signes cliniques (essai clinique DIAN-TU en cours, cf. plus loin).
/ Prévention de la maladie d’Alzheimer dans les formes familiales à début précoce 15 ans avant les premiers signes.
Les études menées par le groupe de R. J. Bateman ont établi la chronologie des modifications des biomarqueurs biologiques (à la ponction lombaire et au niveau du sang) et pour l’imagerie du cerveau : plaques amyloïdes, modification du fonctionnement cérébral et atrophie du cortex) au cours des 25 années précédant l’apparition des premiers signes. Cette chronologie est connue grâce à la participation à la recherche des personnes à risque en comparant porteurs et non porteurs de mutation, à des âges différents et rapportés à l’âge de début dans chaque famille.
Ces connaissances ont permis de proposer des essais thérapeutiques préventifs immunologiques ciblant le peptide amyloide-Beta. L’un d’eux appelé DIAN-TU, pour lequel le promoteur est la Washington University, St Louis aux USA (www.dianXR.org) a reçu les autorisations nécessaires pour être proposé en France à des participants. Des personnes appartenant à ces familles avec mutation (frères/sœurs ou descendants) ont été incluses dans l’étude et reçoivent un traitement de recherche actuellement. Ce protocole est réalisé en aveugle : ni le participant inclus, ni le médecin le prenant en charge ne savent si le traitement administré est actif ou s’il s’agit de son placebo.
Le design de l’étude DIAN-TU permet en plus de conserver secret le statut génétique des participants qui n’est donc jamais révélé ni aux participants ni à l’équipe en charge de l’essai. La participation est possible dès moins 15 années par rapport à l’âge du tout premier signe chez leur parent malade (ex, à partir de l’âge de 30 ans pour un premier signe chez le parent à 45 ans). Le critère principal d’efficacité est une mesure composite de scores cognitifs à 4 ans de traitement.
L’organisation en France comporte les centres de Rouen, Lille, Lyon, Paris-La Salpêtrière, Toulouse. Cet essai est le premier espoir de s’attaquer aux mécanismes initiaux de la maladie d’Alzheimer dont ces personnes savent particulièrement bien à quel âge elle se manifestera. Les premiers résultats ne sont pas attendus avant 2020.
/ Une maladie multifactorielle complexe
En dehors des formes autosomiques dominantes dites « monogénique », la composante génétique de la très grande majorité (>99.9%) des cas de Maladie d’Alzheimer est considérée comme complexe et hétérogène. Cela concerne aussi bien les débuts précoces que tardif et les cas isolés (sporadiques) que des situations avec plusieurs antécédents familiaux.
A la différence des mutations précédemment décrites, les variations génétiques s’intègrent dans ce que l’on appelle les facteurs de risque génétiques. Ceci implique qu’ils ne sont ni nécessaires, ni suffisants pour provoquer la maladie. En clair, le diagnostic de MA chez une personne portant un ou même plusieurs facteurs de risque génétique n’implique pas nécessairement que les individus des générations suivantes développent obligatoirement une MA
Au sein de ce vaste champ de facteurs de risque génétiques, certains d’entre eux sont fréquents et confère un risque fort de développer la maladie d’Alzheimer comme le génotype ε4 du gène APOE, d’autres sont nettement plus rare pour un risque similaire comme des variants des gènes TREM2, SORL1 et ABCA7. Enfin grâce à des collaborations internationales de projets de recherche impliquant un grand nombre patients, plus de 20 gènes ont été impliqués comme facteur de risque fréquent mais n’entrainant qu’un faible risque de développer la maladie (par exemple CLU, CR1, MEF2C, PICALM, BIN1…). La question est maintenant de savoir si l’association entre ces différents facteurs pourrait moduler de façon très significative le risque de développer la maladie à la manière d’un puzzle dont plusieurs pièces de tailles différentes sont constituées par ces gènes et l’image globale étant la maladie elle-même.
En conclusion, la reconnaissance de la maladie d’Alzheimer est récente dans l’histoire de l’humanité et la prise de conscience des enjeux qu’elle représente l’est encore plus. Alors que les premières découvertes majeures sur son développement physiopathologique ne datent que d’une vingtaine d’années et même si l’origine de cette maladie est encore peu comprise, la compréhension des mécanismes physiopathologiques impliqués progresse à grand pas, ouvrant à moyen terme de nouvelles perspectives thérapeutiques.