Les biomarqueurs plasmatiques remplaceront-ils en 2021 les autres biomarqueurs dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer ?
La Fondation Alzheimer a organisé le 3 décembre 2020 un grand débat exceptionnel et participatif sur le thème des biomarqueurs plasmatiques. L’utilisation de ces biomarqueurs détectables dans le sang représente une avancée fondamentale dans le diagnostic des patients, puisqu’ils sont théoriquement moins invasifs, moins coûteux et plus accessibles. Pour animer le débat et répondre à la question posée, deux experts se sont mobilisés : le Dr. Audrey Gabelle (Professeur de Neurologie à Montpellier) et le Dr. David Wallon (Professeur de Neurologie à Rouen).
/ « POUR » par le Professeur Audrey Gabelle
La recherche sur les biomarqueurs plasmatiques est internationale et a débuté il y a 30 ans. Des avancées considérables ont vu le jour grâce aux innovations technologiques et méthodologiques. Les travaux conjoints de recherche clinique sur de larges cohortes de patients évaluant l’histoire naturelle de la maladie d’Alzheimer et de recherche thérapeutique sur les mécanismes pathologiques ont permis de valider la pertinence des biomarqueurs plasmatiques pour le diagnostic prédictif et médical et le pronostic. La possibilité de combiner dans le plasma le dosage des trois biomarqueurs amyloïde, Tau et Phospho-Tau (modification morphologique et toxique de la protéine Tau), comme cela est fait dans le liquide cérébrospinal obtenu par ponction lombaire, est une révolution. En particulier, le biomarqueur plasmatique « phospho-Tau 217 » offre des performances jamais obtenues pour un marqueur plasmatique, à la fois pour le diagnostic mais également pour le pronostic de déclin cognitif. Ce marqueur apparait très tôt dans le processus de développement de la maladie Alzheimer, et ce bien avant les lésions cérébrales de neurodégénérescence mesurables en imagerie moléculaire.
Il est important de noter la cohérence, la fiabilité et la reproductibilité des résultats de ces marqueurs sur les plusieurs cohortes indépendantes, avec différentes techniques de dosage et à moments variés de la maladie. Ces biomarqueurs plasmatiques sont intégrés aux essais cliniques afin d’améliorer la sélection des patients, la validation de la cible thérapeutique et l’analyse de la progression de la maladie.
Déjà sur le marché aux Etats Unis dans le cadre de la pratique clinique et ayant obtenu des validations européennes, ces biomarqueurs vont révolutionner le parcours du malade. Un accès au diagnostic et une prise en soin personnalisée sera désormais possible pour un plus grand nombre de patients.
/ « CONTRE » par le Docteur Wallon
Les travaux de recherche sur les biomarqueurs plasmatiques offrent de nombreuses informations sur de larges cohortes mais qu’est-il du patient et de sa singularité. Il est évident que l’utilisation de ces biomarqueurs est très attendue car ils reposent sur des méthodes simples, rapides et reproductibles. Les biomarqueurs plasmatiques ont suivi des améliorations technologiques permettant une meilleure sensibilité et spécificité. Toutefois, avec un recul d’un an seulement pour les méthodes les plus prometteuses et aux vues de l’historique des biomarqueurs liés au liquide cérébrospinal, il faut savoir rester prudent. En effet, pour ces derniers, il a fallu attendre jusqu’à 18 ans pour passer de la recherche à un outil validé pour les cliniciens. Finalement, les données issues de ces marqueurs du liquide cérébrospinal sont aujourd’hui convaincantes et permettent d’améliorer le degré de certitude du diagnostic en soins courants.
Concernant les biomarqueurs plasmatiques, de nombreuses facteurs peuvent influencer la fiabilité de l’outil :
- L’évolution de la perméabilité de la membrane hémato-encéphalique,
- L’évolution des marqueurs en fonction du rythme veille-sommeil,
- La concentration de ces marqueurs dans le sang moindre que dans le liquide cérébrospinal,
- Le contexte du patient (ex : prise de médicaments),
- Les caractéristiques du prélèvement (ex : type de tubes utilisés),
- Les caractéristiques de l’analyse (ex : type de stockage).
Une revue récente réalisée par des experts indique qu’à ce jour les biomarqueurs plasmatiques amyloïde et Tau ne sont que faiblement corrélés avec les biomarqueurs utilisant l’imagerie cérébrale. Contrairement aux biomarqueurs liés au liquide cérébrospinal considérés comme outil de diagnostic clinique, les biomarqueurs plasmatiques sont pour le moment identifiés comme des outils de recherche et de potentiel candidats pour le diagnostic.
Avec un recul restreint, les données dont la communauté scientifique dispose ne sont pas suffisantes. Il est donc primordial de répliquer les études, de prendre en compte la place de la génétique et des facteurs de confusion dans les analyses. Il sera alors possible, peut-être dans les 3 ans, d’envisager les biomarqueurs plasmatiques dans la pratique clinique courante.